Twelve Turbofolk Tracks (TTT)


De confusions en contradictions, le champ culturel du Turbofolk est aussi surprenant que riche en potentiels. "Art" et "Turbofolk" sont à priori des concepts aussi éloignés que "Turbo" et "Folk", réunis de manière parodique en 1987 par une super star de la chanson serbe, Antonije Pusic, dont le nom de scène obéit lui aussi aux mêmes règles : "Rambo Amadeus".

La diaspora d'ex-Yougoslavie est très importante, des gastarbeiter des années 60 aux réfugiés des guerres des années 90, ce peuple et sa culture s'étend d'Autriche en Australie et même si le nom de domaine .".yu" n'existe plus, internet est malgré tout un espace privilégié pour la communication et le partage entre les membres de cette communauté : "Turbo-folk is the only contribution to globalization from the space of former Yugoslavia [...] I am sending the greetings to my brother in Sydney, and to the aunt in Philadelphia and at the same time the grandmother in Vranje. So, these people have lived in globalization for the last 40 years" [1]. Ainsi, internet a également été une source d'informations primordiale qui m'a permis l'accès à nombre de documents, notamment sur le plan académique. Il y a un nombre relativement important de travaux écrits sur ce thème, une grande majorité sont issus de travaux universitaires, mémoires ou travaux de thèse, qui là encore sont l'oeuvre d'une majorité de femmes. Ce sont les travaux les plus intéressants selon moi car ils offrent une vision moins monolithiques du Turbo-Folk que celle contenue dans les écrits des auteurs masculins, qui souvent traitent ce sujet en faisant l'impasse sur certaines caractéristiques. Du côté des livres, le plus important sur ce sujet, est écrit en anglais par Uros Cvoro [2], un homme. Il y a bien un autre livre : "Turbo-Folk Zvijezda" (Étoiles du Turbo-Folk), de Zlatan Delic, publié en 2013 mais malheureusement n'étant pas du tout traduit, j'ai du, à regret, l'écarter. Un regard intéressant est porté par Irena Sentevska, qui écrit en 2015 : "In the Serbian context, there is no 'official' academic methodology for studying turbo-folk, yet so many scholars write enthusiastically about it. This suggests that turbo-folk claims a specific role and importance in the society, as a symptom of its sharpest social divisions and most visible paradoxes" [3].

Sur le plan formel, un lien peut être fait entre ce travail et l'oeuvre atypique "Turbo Sculpture" [4] (2010 - 2013), réalisée par l'artiste serbe Aleksandra Domanovic, née en 1981 à Novi Sad (Serbie), habitant et travaillant à Berlin. Il s'agit d'une vidéo de 20 minutes dans laquelle elle fait défiler des images sur fond de voix monocorde, ce qui peut donner l'impression d'un document neutre, impersonnel. Cela n'est selon moi qu'une apparence, dans la mesure où le choix des images, celui des mots et de leur déroulement dans le temps est totalement subjectif. Cela m'amène à évoquer le sujet de la vidéo, qui contrairement au mode de représentation fixe, la photographie, est un domaine fortement exploité, que ce soit dans l'industrie musicale ou dans l'art contemporain. Peur de figer l'instant présent, volonté de mouvement, de vitesse, ou est-ce simplement que l'image en mouvement est plus adaptée au côté performatif de l'univers du Turbo-Folk ?

Toujours sur un plan personnel, l'articulation du concept de ready-made dans la musique n'a pas manqué d'attirer mon attention. Ainsi, "200 Na Sat" [5] de Ivan Gavrilovic est une “cover song” (reprise) du groupe 2 Unlimited, arrangée à coups de mélodies pseudo traditionnelles jouées sur un synthé cheap. Ce procédé n’est pas étranger à mon activité dans le groupe de musique "Coverkill" [6], dans lequel l'aspect performatif et le ready-made par la réinterprétation de morceaux emblématiques du Heavy Metal sont des éléments fondamentaux.

Enfin, si au final la photographie n'est pas un élément central dans le Turbo-Folk en tant que médium, l'image, sa création, son interprétation, sa réception et ses conséquences dans le contexte socioculturel des Balkans sont pour moi fondamentaux.

[1] DIMITRIJEVIC, Olga, "The body of the Female Folk Singer: Constructions of National Identities in Serbia after 2000", Gender Studies Master of Arts, Central European University, Budapest, 2008, p. 13 / 57

[2] CVORO, Uros, "Turbo-Folk music and cultural representations of national identity in former Yugoslavia", 2014, Ashgate Publishing, 206 p.

[3] SENTEVSKA, Irena, "'Turbo folk rules!': Turbo-Folk, Chalga and the new elites of the post-socialist Balkans", 2015, p. 153 / 171

[4] A.D., "Turbo Sculpture, 2010 - 2013", Vimeo, 20.5.2014, Consulté le 1.2.2017, https://vimeo.com/95907707

[5] GAVRILOVIC, Ivan, "200 Na Sat", 1994, Mis en ligne le 9.1.2013, Consulté le 12.2.2017, https://www.youtube.com/watch?v=3is49vWMwFI

[6] COVERKILL, "Phantomlash", Mis en ligne le 20.05.2013, Consulté le 12.5.2017, https://www.youtube.com/channel/UCfrFdp6ttuwZw2WjeTk6mGA

Mémoire réalisé par Matei Focseneanu dans le cadre du cours "Nouvelles pratiques de l'image" sous la direction de Caroline Bernard


Vidéo réalisée à l'occasion du mémoire "Twelve Turbofolk Tracks (TTT)" pour le cours "Nouvelles pratiques de l'image" sous la direction de Caroline Bernard
© ES Photographie, CEPV 2017